CHAPITRE HUIT

 

Après s’être installés dans la voiture, les deux hommes restèrent un moment silencieux, puis Odd remarqua :

— Les Lambreth semblent avoir bien réussi sur le plan financier. Je souhaiterais vivre sur ce pied-là. Je parie que le divan à lui seul vaut une petite fortune. Oui était ce dragon ?

— Butchy Bolton. Elle enseigne la sculpture sur métaux à l’École Penniman.

— Elle paraît décidée à prendre la situation en main. Et s’en réjouir.

— Oui, convint Qwilleran, la mort d’Earl Lambreth n’a pas l’air de l’accabler. Je me demande ce qu’elle vient faire là-dedans ? C’est une amie de la famille, sans doute.

— Si vous voulez mon avis, je ne crois pas que cette poupée de luxe soit submergée par la douleur, elle non plus.

— Zoé est une femme intelligente, répondit Qwilleran, même si elle ressemble à une poupée de luxe, elle n’est pas du genre à tourner de l’œil.

— Si ma femme me trouve mort, dans une mare de sang, avec un poignard planté dans la gorge, j’entends bien qu’elle s’évanouisse pour de bon. Je ne veux pas qu’elle rentre à la maison pour se refaire une beauté afin de recevoir des visiteurs. Drôle de phénomène qui ne se souvient pas si oui ou non elle a téléphoné à son mari et qui ne sait pas si la porte était ou non fermée à clef.

— C’est le choc. Cela lui reviendra demain ou plus tard. Que pensez-vous du portrait qu’elle a peint de son mari ?

— Parfait. Il n’aurait pas été plus ressemblant sur une photographie.

— Je pensais que ces artistes modernes peignaient des tableaux abstraits parce qu’ils ne savaient pas dessiner, maintenant, je n’en suis plus aussi sûr. Zoé a vraiment du talent.

— Si elle est si douée, pourquoi perd-elle son temps avec ces inepties ? s’étonna le photographe.

— Probablement parce que cela se vend. À propos, j’aimerais connaître notre reporter criminel.

— Lodge Kendall ? Ne l’avez-vous jamais rencontré ? Il déjeune presque tous les jours au Club de la Presse. Voulez-vous que je vous le présente ?

— Volontiers. Où allez-vous ?

— Je retourne au journal.

— Si cela ne vous fait pas un trop grand détour, pouvez-vous me déposer chez moi ?

— Entendu.

— Dix heures et demie, dit Qwilleran, en consultant sa montre, et j’ai oublié de nourrir le chat !

— Ah ! Ah ! Ah ! fit Odd, avec un gros rire, je vous avais bien prévenu que Monty vous aurait au tournant ! Comment diable acceptez-vous de vivre dans un tel quartier ? On me paierait cher pour rentrer, le soir, dans un pareil coupe-gorge, conclut-il, en arrêtant sa voiture.

Qwilleran haussa les épaules, sans répondre et descendit. Un journal du soir avait été glissé sous la porte. Il le ramassa, ouvrit, referma la porte sur lui, heureux de se retrouver à l’abri du froid. Prenant la seconde clef, il l’introduisit dans la serrure. Au moment où il allait entrer, il recula, épouvanté. De l’obscurité un cri sauvage avait jailli. Pétrifié, le cœur battant, la moustache hérissée, il serra instinctivement le journal dans sa main comme un bâton dérisoire.

Puis il se rendit compte de la nature de ce cri. Koko l’attendait. Un Koko affamé, furieux et qui lui disait son fait. Qwilleran s’appuya contre le mur et reprit sa respiration en dénouant sa cravate :

— Ne refais plus jamais cela ! dit-il au chat.

Juché sur la console supportée par deux lions dorés, Koko répondit par un torrent de reproches.

— Très bien, très bien, rétorqua Qwilleran, je te présente mes excuses. J’avais oublié. J’ai eu une journée chargée.

Koko poursuivit sa tirade.

— Veux-tu attendre une seconde que j’enlève mon pardessus ?

Dès que Qwilleran commença à monter l’escalier, le chat se tut. Bondissant devant lui, il le conduisit dans l’appartement de Mountclemens qui était plongé dans l’obscurité. À tâtons, Qwilleran chercha l’interrupteur. Cette attente irrita Koko qui se mit à miauler de plus belle. Maintenant ses cris avaient des accents gutturaux exaspérés, chargés de menaces.

— J’arrive, j’arrive, dit Qwilleran, en suivant le chat, le long du couloir menant à la cuisine.

Koko le conduisit directement au réfrigérateur où un morceau de bœuf attendait dans une assiette en verre. On aurait dit du filet. Qwilleran plaça la viande sur une planche et regarda autour de lui.

— Où diable range-t-il ses couteaux ? dit-il, en ouvrant les tiroirs, les uns après les autres.

Avec légèreté, Koko sauta sur un meuble et renifla une planche contre le mur, sur le bois étaient fixés des couteaux de différentes tailles.

— Merci, dit Qwilleran.

Il se mit à découper la viande, s’émerveillant de la qualité de la lame. Un vrai outil de chef cuisinier. Comment Mountclemens avait-il dit de couper la viande ? En morceaux gros comme des pois ou comme des haricots ? Il fallait faire chauffer la viande dans du bouillon. Où était donc ce bouillon ?

Assis sur la table, le chat surveillait ses gestes avec impatience.

— Et si tu mangeais la viande crue, pour une fois, mon garçon ? Il est si tard.

Koko fit entendre un son rauque que Qwilleran prit pour un acquiescement. Dans un buffet, il trouva une assiette en porcelaine blanche avec une bordure dorée dans laquelle il disposa la viande de façon attrayante, jugea-t-il, puis il plaça l’assiette par terre, près du bol en céramique avec le mot « chat » écrit en trois langues.

Avec un grognement, Koko sauta par terre et se dirigea vers l’assiette pour en examiner le contenu. Il releva la tête et regarda Qwilleran, une expression d’incrédulité dressait ses oreilles frémissantes.

— Vas-y, régale-toi, dit Qwilleran, d’un ton encourageant.

Koko baissa à nouveau le nez, flaira la viande, la toucha de la patte et se recula d’un air dégoûté. Il secoua la tête et s’en alla, la queue dressée, toute droite en direction de l’étoile polaire.

Un peu plus tard, quand Qwilleran eut trouvé le bouillon dans le réfrigérateur et qu’il eut préparé le repas convenablement, Kao K’O Kung consentit, enfin, à dîner.

Le lendemain, le journaliste raconta cette aventure en déjeunant au Club de la Presse, avec Arch Riker et Lodge Kendall.

— Mais ce matin, je me suis admirablement acquitté de ma tâche, conclut-il. Koko m’a réveillé à six heures et demie, en venant miauler à ma porte. Je suis monté lui préparer son déjeuner à son entière satisfaction et je crois qu’il me gardera à son service jusqu’au retour de Mountclemens.

Le reporter criminel était un homme jeune, sérieux, fermé à tout humour.

— Vous ne voulez pas dire que vous vous laissez régenter par un chat ?

— Je crois qu’il me fait pitié : le pauvre petit chat riche, condamné au filet de bœuf et au pâté maison. J’aimerais lui attraper une souris.

Arch expliqua à Kendall :

— Vous comprenez, c’est un siamois, descendant d’un dieu égyptien. Non seulement il parle et vous explique ce qu’il veut, mais il lit les journaux. Un chat qui sait lire est évidemment supérieur à un journaliste qui n’attrape pas de souris.

— Il vole aussi, renchérit Qwilleran. Quand il veut grimper en haut d’un meuble, il met ses oreilles en arrière et bondit comme un Jet. Il possède une sorte de principe aérodynamique que les chats ordinaires n’ont pas.

Kendall dévisagea ces deux hommes d’âge mûr, en se demandant s’ils se moquaient de lui.

— Après ce réveil matinal, j’ai eu le temps de réfléchir au meurtre d’Earl Lambreth, poursuivit Qwilleran. Quoi de neuf, du côté de la police ?

— Le quartier général n’a fait aucune déclaration officielle, ce matin, dit Kendall.

— J’ai remarqué quelque chose qui me paraît intéressant. Les tableaux et la sculpture qui ont été endommagés sont des représentations féminines plus ou moins dévêtues. La police s’en est-elle aperçue ?

— Je l’ignore, dit Kendall, je poserai la question.

— Ce n’est pas facile à voir. Il s’agit d’œuvres abstraites, un simple coup d’œil ne révèle rien.

— Alors, le vandale doit être quelqu’un qui est initié à l’art moderne, un de ces obsédés qui déteste sa mère.

— Voilà qui restreint déjà le champ des investigations, déclara Arch.

Qwilleran était dans son élément, en marge de la police où il avait appris son métier. Ses yeux brillaient d’un éclat inhabituel, sa moustache elle-même paraissait plus heureuse. Les trois hommes mangèrent pendant un moment, en silence, puis Kendall demanda à Qwilleran :

— Connaissiez-vous bien Earl Lambreth ?

— Je ne l’avais rencontré qu’une seule fois. C’était une sorte de snob artistique.

— La galerie a-t-elle du succès ?

— Difficile à dire. L’installation est luxueuse, mais cela ne prouve rien. Certains tableaux valent une petite fortune, même si je n’en donnerais pas cinq cents. Je suppose cependant que les spéculateurs achètent ce genre de peinture et c’est la raison pour laquelle Lambreth s’était installé dans ce quartier.

— Un client s’est peut-être aperçu qu’il avait été roulé et la discussion a mal tourné.

— Cela ne cadre pas avec l’acte de vandalisme.

— Croyez-vous que le choix de l’arme soit significatif ? demanda Arch.

— Il s’agit d’un burin qui provient de l’atelier, dit Kendall.

— Le meurtrier a pu s’en saisir au cours de la discussion, mais il pouvait aussi savoir à l’avance qu’il le trouverait là.

— Qui travaille dans cet atelier ?

— En dépit de l’attitude prétentieuse qu’il adoptait à l’égard de ses clients, je pense que Lambreth confectionnait lui-même ses cadres, répondit Qwilleran. Le jour où je suis allé le voir, j’ai remarqué qu’un travail était en cours, mais il n’y avait aucun ouvrier. Quand je lui ai posé la question, il a eu une réponse évasive. Ensuite, je me suis aperçu que ses mains étaient abîmées, rugueuses, comme s’il se livrait à un travail manuel.

— La galerie n’est peut-être pas aussi florissante qu’elle le paraît.

— D’un autre côté, il vivait dans un quartier résidentiel et sa maison est luxueuse.

— Je me demande si Lambreth a ouvert lui-même la porte à son assassin ? murmura Kendall, songeur. Ou bien, le tueur s’est-il introduit avec une clef ?

— Je suis persuadé que Lambreth connaissait son agresseur, répondit Qwilleran. Je pense que la prétendue bagarre a été mise en scène, après le meurtre.

— Qu’est-ce qui vous fait croire cela ?

— La position du corps. Lambreth semblait être tombé de son fauteuil. S’il était assis, c’est que son meurtrier l’a frappé par surprise. Il ne se serait pas engagé dans une discussion pour retourner s’asseoir paisiblement.

— Bon, eh bien, c’est là le travail de la police, nous avons d’autres chats à fouetter, dit Arch, en se levant.

Comme les hommes quittaient leur table, le barman appela Qwilleran :

— J’ai appris le meurtre de Lambreth, lui confia-t-il. Je connais la galerie. Lambreth était un escroc.

— Comment le savez-vous ?

— Je fréquente beaucoup d’artistes. N’importe lequel vous dira comment Lambreth opérait. S’il vendait une toile huit cents dollars, il en donnait cent cinquante au peintre.

— Pensez-vous qu’un de vos petits copains l’ait descendu ?

— Je n’ai pas dit cela, protesta Bruno, avec dignité. Je pensais que vous aimeriez savoir quel genre de gars il était.

— Eh bien, merci beaucoup.

— Et sa femme ne vaut pas mieux.

— Que voulez-vous dire ?

— Tout le monde sait qu’elle s’est payé du bon temps. On doit lui rendre cette justice : elle a toujours su où était son intérêt.

— C’est-à-dire ?

— Par exemple, j’ai entendu raconter que dans la maison où vous habitez, il existe un appartement bien commode. Elle y est allée, sous prétexte de peindre le portrait du chat.

Sans répondre, Qwilleran hocha la tête ; il se préparait à partir quand Bruno ajouta :

— Il y a autre chose encore, Mr Qwilleran. J’ai appris qu’un objet d’art a disparu du musée et que l’on s’efforce d’étouffer l’affaire.

— De quoi s’agit-il ?

— D’un poignard exposé dans la salle florentine. Un de mes amis, qui est gardien au musée, s’est aperçu que le poignard manquait. Il l’a signalé, mais personne ne veut rien faire.

— Merci du renseignement, je vais m’en occuper.

Qwilleran devait certains de ses meilleurs tuyaux au barman des Clubs de la Presse. Certains des plus mauvais également.

Avant de sortir du bâtiment, il s’arrêta dans le hall pour acheter des livres à un stand où les journalistes de la presse féminine vendaient des livres d’occasion au bénéfice d’une œuvre charitable. Pour un demi-dollar il acheta un exemplaire de Comment rendre votre chat heureux. Pour moitié moins il acheta aussi Une étude sur le marché des affaires en Amérique de 1800 à 1850.

De retour à son bureau, il téléphona à Mrs Lambreth. Butchy lui répondit. Non, Zoé ne pouvait venir à l’appareil. Oui, elle avait pu dormir. Non, Qwilleran ne pouvait rien pour l’aider.

La journée se termina sans rien apporter de notable et il rentra chez lui de bonne heure, le col de son pardessus relevé pour se préserver de la neige qui commençait à tomber. Quand il arriva, Koko l’attendait. Le chat l’accueillit non avec des cris de reproche, mais avec un miaulement de bienvenue. La façon dont il retroussait ses moustaches lui donnait un air d’expectative. Le journaliste se sentit flatté.

— Alors, mon garçon, as-tu passé une bonne journée ?

Koko répondit par un murmure indistinct et Qwilleran en conclut qu’il avait eu une journée moins intéressante que la sienne. Il se dirigea vers l’escalier pour aller lui préparer son repas et s’aperçut que Koko ne bondissait pas devant lui. Au lieu de cela, le chat marchait sur ses talons et se faufilait entre ses jambes.

— Attention ! Tu vas me faire tomber !

Il prépara le bœuf, selon les instructions et plaça l’assiette sur le sol, puis il s’assit pour regarder Koko manger. Qwilleran ne pouvait s’empêcher d’admirer les formes harmonieuses du siamois, l’élégante proportion de son corps, les muscles jouant sous la fourrure, l’exquise délicatesse de ton allant du blanc pur au brun sombre, en passant par le beige pâle. À sa surprise, le chat ne manifesta aucun intérêt pour la nourriture. En revanche, il vint se frotter contre les chevilles du journaliste en prononçant un « Yao ! » plaintif.

— Qu’y a-t-il, Koko ? Tu es difficile à contenter, sais-tu ?

Le chat le regarda avec une expression suppliante au fond de ses yeux bleus et se mit à ronronner en se dressant pour appuyer une patte contre le genou de l’homme.

— Je parie que tu t’ennuies ! Tu as l’habitude d’avoir de la compagnie toute la journée et maintenant tu te sens seul et négligé.

Prenant l’animal dans ses bras, il le posa sur son épaule et Koko ronronna plus fort contre son oreille, avec un air d’extrême satisfaction.

— Je crois que je vais rester à la maison, ce soir, lui dit-il. Il fait froid, dehors. Il y a déjà beaucoup de neige et j’ai laissé mes caoutchoucs au bureau.

Cherchant quelque chose à manger, il se servit une tranche de « pâté maison » qui se révéla un des meilleurs qu’il eût jamais goûtés. Comprenant que c’était jour de fête, Koko se mit à courir d’un bout à l’autre de l’appartement. Il semblait voler ; galopant au ras du sol, il sautait sur la table d’un seul bond, puis s’élançait de la chaise sur la bibliothèque et hop ! sur un guéridon, de là sur une mitre chaise pour atterrir en haut du bonheur-du-jour, le tout à une allure folle. Qwilleran comprit pourquoi il n’y avait aucune lampe posée sur une table. Il fit lui-même le tour de l’appartement. Il ouvrit la porte du couloir et vit une chambre à coucher avec un lit à baldaquin et des rideaux en velours. Dans la salle de bain, il remarqua un flacon vert, portant une étiquette « essence de citronnelle » et reconnut le parfum. Il se promena ensuite dans le salon, mains dans les poches, passant en revue les trésors de Mountclemens. Sous les tableaux, des plaques en cuivre indiquaient les noms : Hals, Gauguin, Eakins.

Ainsi, ce serait là un nid d’amoureux, s’il fallait en croire Bruno ? Force était d’avouer que le décor s’y prêtait : lumière tamisée, musique douce, souper aux chandelles, vins délicats, fauteuils profonds, tout vous incitait à l’amour.

Et maintenant Earl Lambreth était mort. Il n’était pas difficile d’imaginer Mountclemens en séducteur. Le critique avait un charme suave auquel les femmes devaient être sensibles. Son autorité en imposait sans doute aux cruelles. Séducteur, oui. Meurtrier, non. Mountclemens était trop élégant, trop délicat pour cela.

Qwilleran retourna chez lui, suivi par un Koko plein d’entrain. Pour amuser le chat, il attacha un morceau de papier lié à un bout de ficelle et le balança.

À neuf heures, la dernière édition du Daily Fluxion arriva et Koko déchiffra les gros titres. Lorsque le journaliste s’installa finalement dans son fauteuil favori, le chat grimpa sur ses genoux, sa fourrure soyeuse attestant son contentement. Ce fut avec un regret visible que Koko prit congé, à minuit, pour monter se coucher sur son coussin bleu, en haut du réfrigérateur.

Le lendemain matin, Qwilleran raconta sa soirée à Arch Riker :

— Koko avait du vague à l’âme, hier soir, alors je suis resté à la maison pour lui tenir compagnie. Nous avons joué à moineau-vole.

— Est-ce là un nouveau jeu de société ?

— C’est un jeu que nous avons inventé. Cela ressemble au tennis, avec un seul joueur et pas de filet. Je fabrique un moineau avec un morceau de papier attaché à une ficelle et je le balance afin que Koko le renvoie de la patte. Il a un joli coup droit. Chaque fois qu’il touche le moineau, il marque un point. S’il le manque, c’est moi qui marque. Un jeu se joue en vingt et un points. Après cinq jeux, hier soir, Koko menait par cent huit points contre quatre-vingt-douze pour moi.

— J’aurais juré qu’il fallait parier sur le chat, dit Arch, en se penchant pour prendre une feuille de papier rose. Je sais que cet animal consume une grande partie de votre temps et de votre énergie, mais j’aimerais que vous songiez un peu à ce « profil de Halapay ». Une nouvelle note rose vient de me parvenir, ce matin.

— Vous l’aurez, dès que j’aurai rencontré Mrs Halapay, répondit Qwilleran.

De retour à son bureau, il appela Sandy et lui proposa de déjeuner avec lui le mercredi suivant.

— Plutôt dîner, dit-elle, Cal est au Danemark et je suis seule. J’aimerais aller dans un endroit où il y a un orchestre, vous êtes un si merveilleux danseur !

Son rire ôta quelque crédit à ce compliment douteux. Soyez aimable, ordonnait le slogan qui figurait sur le cadran téléphonique. Il répondit :

— Cela me plairait beaucoup, mais cette semaine je travaille la nuit. Commençons par déjeuner ensemble mercredi pour discuter des activités civiques et familiales de votre mari.

— Comme vous voudrez. Je viendrai vous chercher et nous irons dans une auberge. Nous avons mille choses à nous raconter. Je veux tout savoir sur le meurtre d’Earl Lambreth.

— Je crains de ne pas en savoir grand-chose.

— Mais voyons, c’est clair comme de l’eau de roche ! Il s’agit d’un crime passionnel, naturellement. Vous êtes au courant de ce qui se passait, je présume ?

— Non, pas du tout.

— Je ne veux pas discuter de cela au téléphone. Je vous verrai mercredi, à midi.

Qwilleran passa le reste de la matinée à préparer des sujets pour les semaines à venir. Il terminait un court article humoristique sur un lithographe local qui s’était converti à l’aquarelle, après s’être fait tomber une pierre lithographique de cinquante kilos sur le pied, quand le téléphone sonna. Il décrocha et une voix grave et mélodieuse le fit tressaillir.

— Zoé Lambreth à l’appareil, je ne peux parler plus fort. M’entendez-vous ?

— Oui. Que se passe-t-il ?

— Je voudrais vous voir, mais pas chez moi, en ville.

— Voulez-vous venir me retrouver au Club de la Presse ?

— Je préférerais un endroit moins public.

— Accepteriez-vous de venir chez moi ?

— Ce serait mieux. Vous habitez chez Mountclemens, je crois ?

— 26, place Blenheim.

— Oui, je connais.

— Demain après-midi vous conviendrait-il ? Prenez un taxi, le quartier n’est pas très reluisant.

— D’accord pour demain à quatre heures. Merci beaucoup. J’ai besoin d’un conseil. Excusez-moi, je dois raccrocher, maintenant.

Il y eut un déclic. La moustache de Qwilleran se mit virtuellement à danser, tandis que la manchette se composait dans sa tête : La veuve du marchand de tableaux révèle la vérité sur le meurtre de son mari au journaliste du Daily Fluxion.